Djeann recycle vos vieux jeans pour en faire des tapis design

DESIGN – Recycler des jeans usagés, créer des tapis design et sortir de la précarité les tisseuses d’un petit village berbère. Voici les différentes missions que s’est fixées Anne Bénédicte Vincent. Cette designer française a fondé en 2012 sa société Djeann. Une initiative inspirée des boucharouette, ces tapis marocains tissés à partir de tissus de récupération.

Une société qui, au delà de sa volonté créatrice, est aussi le moyen pour Anne Bénédicte de lier sa passion pour la décoration intérieure aux rapports humains, notamment avec les tisseuses de la marque.

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Comment l’idée de ce projet vous est-elle venue?

Anne Bénédicte Vincent: Il y a déjà plus de cinq ans, j’ai découvert le tapis boucharouette vintage à travers des projets de décoration pour des riads, entre autres… Je suis tombée sous le charme immédiatement de par leur singularité, leurs couleurs, la dimension artistique, pratique car lavable en machine, et surtout l’approche écologique puisqu’ils sont tissés à partir de vêtements usagés. L’idée de chiner des pièces n’a pas comblé ma fibre créatrice. J’ai donc rapidement éprouvé l’envie d’aller plus loin. J’ai senti qu’il fallait redonner une nouvelle dimension à ces tapis populaires souvent mal appréciés à cause de leur origine.

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Depuis sept ans que je suis au Maroc, je réside dans le même petit village berbère qui regorge de main d’oeuvre. Les choses ont pris forme au fur et à mesure et le puzzle a commencé à se mettre en place. Il fallait trouver un ADN commun, de qualité et intemporel: le jean est apparu comme une évidence. Ça tombe bien, le Maroc dispose de nombreuses usines de fabrication. J’ai commencé par récupérer les jeans usagés dans les villages, que je désinfectais avant de tisser. Puis en augmentant la production, je me suis tournée vers les chutes de découpes de jeans.

Il faut savoir qu’avant d’être décoratrice, j’étais dans le médical, spécialisée dans l’oncologie. J’ai choisi ce milieu pour le contact avec les patients, le rapports humains, la richesse des relations à travers la maladie. Mais la décoration d’intérieur était mon hobby. Des métiers antagonistes, l’un dans l’humain et l’autre dans le superficiel… Comment réunir les deux? En allant à la rencontre des tisseuses, j’ai découvert une grande précarité, mais une envie encore plus grande de travailler. Et voilà, tout était en place pour commencer l’aventure Djeann.

« En allant à la rencontre des tisseuses, j’ai découvert une grande précarité, mais une envie encore plus grande de travailler »

Combien de personnes travaillent avec vous? Collaborez-vous avec des artisans à Marrakech?

J’ai commencé avec deux tisseuses durant la première année afin de découvrir le produit et ses possibilités, d’affiner la technique de tissage. Car l’objectif était très clair dès le début: il fallait proposer un tapis boucharouette haut de gamme et moderne, un produit jamais vu!

Ensuite, le bouche à oreilles à fait rapidement le tour du village et j’ai agrandi l’équipe. Suite à cela, j’ai fondé une association pour toutes ces femmes qui travaillent en exclusivité pour Djeann. Il faut comprendre que l’humain a une place essentiel dans ce projet. En effet, je vais tous les jours chez chacune d’elles pour suivre leur travail et les guider. Elles travaillent à domicile pour faciliter leur vie domestique tout en ayant un revenu substantiel. Nous avons tissé des liens très forts au fil des années. Il y a un véritable équilibre entre nous; nous sommes toutes des femmes, des mères, des épouses qui travaillons. On a besoin des unes des autres pour avancer.

« On a besoin des unes des autres pour avancer »

Même si elles ne sont pas professionnelles, elles sont investies dans chacune des réalisations. Elles ont appris le cahier des charges et connaissent mes exigences. Nous avons revu la technique ancestrale pour l’améliorer et la rendre plus qualitative. On parle véritablement de commerce équitable.

« On parle véritablement de commerce équitable »

Elles sont rémunérées à la pièce et je n’ai jamais tenu compte des prix pratiqués au Maroc, je me suis basée sur ma sensibilité européenne. Elles sont devenues indépendantes et peuvent élever leurs enfants dignement. Aujourd’hui, l’équipe Djeann compte 20 tisseuses dont mon bras droit, Amina, qui a un salaire supplémentaire car elle me suit tous les jours dans le suivi du travail et une collaboratrice responsable de la comptabilité et de l’administratif.

Quelle nouvelle touche souhaitez-vous apporter à l’artisanat marocain avec ce projet?

Même si le jean reste l’ADN de la marque, j’aime marier différentes matières nobles entre elles comme le cuir, la laine ou le chanvre… Entre les différentes couleurs de jean, cela permet beaucoup de possibilité dans les designs, et des styles différents. Le cuir est aussi issu du recyclage puisque je récupère des chutes de cuir de très haute qualité provenant des tanneries. La laine provient d’une coopérative. Et le chanvre est une fibre végétale.

Notre force est notre autonomie! Ainsi j’arrive à mieux gérer les délais et la qualité. Je fais appel à une couturière pour monter les coussins, et un maâlem pour le travail à la main de finition, des sacs, tapis et autres objets dérivés suivant les collections.

Nous avons un produit avec une forte identité que nous essayons de protéger. Ma volonté principale est de laisser une trace dans l’artisanat marocain qui m’est si cher et surtout redonner un niveau de qualité. À travers mon association, les femmes font perdurer la technique du tissage et la transmettent. Pour l’année 2017, nous avons innové en proposant des nouveaux tissages, toujours inspirés des techniques ancestrales. Il n’y a pas de limites…

Je souhaite surtout qu’il y ait une prise de conscience et une valorisation de cet art! C’est un métier à part entière et il doit être respecté à travers des salaires décents! Il est de notoriété publique que les marchands de tapis gagnent plus leur vie que les tisseuses… Eh bien je souhaite qu’il y ait un équilibre comme chez Djeann.

Travaillez-vous exclusivement à Marrakech ou souhaitez-vous étendre le projet à d’autres villes?

Nos produits s’exportent depuis le début. Nous avons un showroom à Sidi Ghanem depuis deux ans qui permet aux professionnels de venir faire leur choix. Nous sommes représentés en Europe et en exclusivité sur toute la côte Est des États-Unis. Les opportunités ne manquent pas mais nous ne pouvons pas tout accepter de par notre faible production. Mon rôle est donc d’avoir une vision à long terme et de prendre les bonnes décisions pour la pérennité de la marque.

Quels types de produits créez-vous?

Nos produits phares restent le tapis et les coussins, mais nous proposons tout un univers autour d’un style berbère country… Une ambiance rustique chic. J’aime les matières brutes et authentiques ainsi que la mixité. Les femmes qui ne font pas de tapis, peuvent faire des tabourets, du crochet pour des attrape-rêves, du tricot… Je propose du mobilier, et des accessoires de déco liés à l’univers Djeann.

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Quelles sont les fourchettes de prix?

J’ai 3 gammes de prix pour les tapis:

– tapis tout jean: 1500 dhs/m2
– tapis jean et autre matière: 1900 dhs/m2
– tapis tissage autre que boucharouette: 2200 dhs/n2

Les prix des coussins se situent entre 750 dhs et 1400 dhs.

Aujourd’hui, je dois avoir une projection à long terme car toutes ces femmes comptent sur moi!

Quelles sont vos ambitions pour Djeann?

Si on m’avait dit qu’en cinq ans j’aurai fait tout ça, je pense que j’aurai tout arrêté… Aujourd’hui, je dois avoir une projection à long terme car toutes ces femmes comptent sur moi! Elles doivent travailler en continu. A cette heure, nous avons deux exclusivités dont une de cinq ans, ce qui nous assure suffisamment de travail. La difficulté sera donc de choisir les bonnes opportunités. Mais l’idée dans les années à venir sera de franchiser la marque. Quoi qu’il en soit, nous garderons la même capacité de production toujours dans l’optique de conserver la qualité.

 

Source Hp/ CC