La Voice Gallery abrite l’exposition « Toponomy Outside » de l’artiste Hamdi Attia jusqu’au 30 novembre 2018.
[Utilisées comme instruments de pouvoir économique, politique et militaire, les cartes ont toujours représenté la vision de leur auteur. Le cartographe est ainsi un créateur. Le créateur d’un point de vue subjectif qu’il retranscrit à travers des images. Les atlas répondent tous à des enjeux prédéfinis en mettant en évidence certains éléments, orientant le regard sur l’espace représenté dans le sens voulu par son auteur qui induit la délimitation et l’appropriation territoriale en manipulant des informations retranscrites et mises en valeur. De nombreux artistes du monde arabe se sont également intéressés à l’utilisation de la cartographie, considérée comme un médium permettant notamment de remettre en cause les planisphères eurocentrés qui sont aujourd’hui plus des objets historiques porteurs d’une vision du monde souvent dépassée. Le travail d’Hamdi Attia se transforme lui aussi au fil de ses recherches, des facettes qu’il souhaite montrer. C’est un processus de travail évolutif qui se met en place au fur et à mesure des impressions physiques pour enrichir l’histoire du scripte initial.
Dans cette exposition TOPONYMY OUTSIDE IN, Hamdi Attia prend le rôle du cartographe à la fois objectif et subjectif. Il crée un monde fictif en tant qu’objet du regard puissant du cartographe. L’histoire des cartes est intrinsèquement liée à celle de la toponymie puisque l’émergence de la territorialité passe par les actes de dénomination, les actes de langage. La toponymie est tout autant la traduction d’un pouvoir politique, dont les noms se retrouvent investis d’une fonction symbolique. En inventant autant de villes et de noms leur correspondant, c’est comme si l’artiste remettait les compteurs à zéro pour que soit instauré un nouvel ordre mondial.
Hamdi s’inspire d’écrits de divers auteurs, tels que Marquez ou Borges, pour réaffirmer la nature arbitraire des cartes, des frontières et de l’état moderne. Inspiré par la célèbre phrase « Si je n’étais pas égyptien, j’aurais souhaité être un égyptien » de l’intellectuel et activiste égyptien du 19ème siècle Mustafa Kamil, Hamdi Attia cherche à défier les certitudes politiques et identitaires liées à cette phrase et à la mémoire commune de son pays. En remplaçant le mot « égyptien » par un autre nom propre ou par un nom commun, c’est l’histoire moderne et contemporaine de l’Egypte qui s’en trouve chamboulée. A travers The World Map project et la création d’un monde imaginaire parallèle, l’artiste questionne lui-même son identité : « Si je n’avais pas été sur cette terre, j’aurais souhaité être sur ma propre terre ». Le regardeur se trouve ainsi confronter aux mêmes réflexions : où pourrait-il lui-même s’y situer ?
Les cartes sont aussi un élément de mémoire, une mémoire subjective, liée à une histoire paradoxalement à la fois universelle et exclusive. Les frontières sont aujourd’hui à la fois effacées avec la mondialisation et la culture de masse, et renforcées notamment en raison des politiques migratoires. Hamdi Attia joue sur ces éléments de mémoire et de représentation non seulement grâce à la toponymie des lieux, mais aussi sur la définition des frontières pour les mettre au service de revendications géopolitiques.
L’installation « A re-arrangement of the 196 Palestinian territories in the West Bank » est la transcription des territoires palestiniens occupés ainsi que l’exploitation des ressources en eau de ces territoires par Israël. L’artiste s’intéresse ici à la fois à la redéfinition des frontières et aux conséquences territoriales et écologiques d’une telle occupation tout en s’interrogeant sur le rôle de ces représentations dans l’imaginaire commun. On pourrait y voir ici la métaphore d’un monde entier occupé. C’est une prise de position à la fois idéologique et politique claire. Le visiteur s’en trouve alors perturbé, touché dans son intimité, entre les éléments connus et reconnus, mélangés à ceux que l’artiste souhaite mettre en lumière.
Pour autant, Hamdi Attia réussit à s’exprimer de façon unique. Il perturbe l’œil du spectateur. En changeant les noms des lieux, en utilisant les mers comme plein et non plus comme vide, comme élément de délimitation et comme entité à part entière. Le contenu devient alors le contenant, l’artiste brouille les repères qui deviennent un point de convergence issu d’un renversement, d’une inversion, d’un effacement. Il repense le langage, attirant l’attention sur le vocabulaire esthétique et offrant une exploration critique de la normalisation des espaces.]